Titre : | Caractérisation du recrutement et de la dynamique migratoire des civelles d'anguilles Européennes dans le delta de Camargue : Rapport Contrat de Delta, Action MA12 |
Auteurs : | Colin Bouchard, Auteur ; Olivier Boutron, Auteur ; Delphine Nicolas, Auteur |
Type de document : | Rapport |
Editeur : | Arles (FRA) : Tour du Valat, 2022 |
Format : | 156 |
Langues: | Français |
Mots-clés : | TdV ; Camargue ; Anguilla anguilla ; Migration ; Jeune ; Protection faune ; Suivi ; étang |
Résumé : |
L’anguille Européenne (Anguilla anguilla) colonise les eaux littorales et les cours d’eaux côtiers Européens pour y accomplir sa croissance. Comme de nombreuses autres espèces de poissons migrateurs, la population subit un déclin depuis les années 1980. Les états Européens ont maintenant l’obligation de mettre en place et appliquer des politiques de gestion qui permettent de retrouver les niveaux d’échappement (i.e., anguilles argentées migrant en mer) observés avant le déclin. Une partie des nécessités de ces politiques réside dans le suivi du recrutement en civelles (i.e., abondance en civelles migrant en eaux douce ou saumâtre), de mieux comprendre le comportement migratoire des civelles dans les hydro-systèmes littoraux, et d’identifier des actions pour améliorer à la fois le recrutement et la migration des civelles.
L’historique exploitation de ce jeune stade, ainsi que la mise en place de suivis scientifiques, a permis d’avoir des séries temporelles du recrutement dans plusieurs estuaires Français et Européens. En France, la majorité de ces séries temporelles correspondent à des estuaires localisés le long des côtes Atlantiques. Or les civelles arrivant sur les côtes Européennes colonisent une diversité d’hydro-systèmes littoraux. Ainsi, la colonisation d’hydro-systèmes particuliers comme des marais, étangs, ou delta, est peu connue et suivie. Il existe également un manque de connaissances sur le recrutement et le com- portement migratoire des civelles le long des côtes Méditerranéennes. De part sa localisation le long des côtes Méditerranéennes et sa spécificité de réseau complexe d’étangs, lagunes, et canaux, le delta du Rhône représente un hydro-système riche, disponible, et adéquat pour la colonisation des civelles et la croissance d’individus. Quelques précédentes études sur la dynamique de recrutement en civelles ont été accomplies sur de courtes périodes ou quelques sites indépendamment mais aucune analyse globale de la colonisation à l’échelle de la Camargue n’avait encore été réalisée. Au cours des dernières décennies (10-30 ans), de plus en plus d’efforts ont été réalisés par les gestionnaires locaux (Parc Naturel Régional de Camargue, Société Nationale de Protection de la Nature/Réserve Nationale Naturelle de Camargue, Tour du Valat, Association Migrateurs Rhône Méditerranée, Office Français de la Biodiversité, Conseil départe- mental des Bouches du Rhône, Association des Amis des Marais du Vigueirat, Grand Port Maritime de Marseille, Conservatoire du Littoral, Syndicat Mixte Inter-régional d’Aménagement des Digues du Delta du Rhône et de la Mer, collectivités locales, ...) pour améliorer le fonctionnement naturel des marais, la gestion des ouvrages relatifs à la gestion des niveaux d’eau, et le suivi des espèces piscicoles patrimoniales. Ainsi, il apparaissait nécessaire de mieux évaluer le recrutement en civelle dans cet hydro-système au travers d’une approche globale en mutualisant les données acquises sur plusieurs sites de suivis, mais aussi d’une approche locale pour mieux identifier des paramètres environnementaux et des actions de management propres à chaque site. Enfin, il apparaissait nécessaire de commencer à mieux comprendre le comportement migratoire des civelles dans ces hydro-systèmes particuliers mais aussi au passage d’ouvrages d’art permettant la gestion des niveaux d’eau, et sur lesquels les gestionnaires peuvent appliquer des poli- tiques de gestion. Ainsi ce projet visait à améliorer la caractérisation du recrutement et de la dynamique migratoire des civelles d’anguilles Européennes dans le delta de Camargue. Des données de recrutement en civelles provenant de cinq sites différents dans le delta de Camargue et acquises depuis 1993 jusqu’à 2021 ont été utilisées pour répondre à cet objectif. Ces données correspondaient à des abondances de civelles capturées par des pièges passifs (filets verveux) ou des passes à civelles mais aussi des données individuelles (biométrie et stades pigmentaires) sur une partie des individus capturés. Ainsi, différents modèles ont pu être réalisés. Chaque modèle avait un objectif particulier : la caractérisation de la variabilité spatio-temporelle du recrutement à l’échelle globale (chapitre 1, page 15), l’estimation de la vitesse de migration des civelles à l’intérieur du delta (chapitre 2, page 45), la caractérisation du recrutement à l’ouvrage de la Fourcade et l’effet de sa gestion et de variables environnementales sur la migration des civelles à cet endroit (chapitre 3, page 71), et enfin, l’utilisation du recrutement en civelles pour évaluer la connectivité écologique au sein d’une partie du delta de Camargue, les étangs et marais des Salins de Camargue (chapitre 4, page 107). Bien que des données de plusieurs sites ont été utilisées tout au long du projet et que certaines analyses ne sont pas affichées dans ce présent rapport, il apparait que la première des pistes d’améliorations du suivi de l’anguille Européenne dans le Delta de Camargue passe par une meilleure homogénéisation des suivis entre les sites (pression d’observation, méthode d’observation) et l’adoption d’une distribution des suivis le long des potentielles voies de migration (e.g., accès à des marais, étangs, connexions à la mer). La mise en commun des suivis de plusieurs sites a permis de mettre en évidence, comme pour le suivi à l’échelle Européenne, que les variations inter-annuelles sont peu marquées avec seulement un dernier pic observé en 2013-2014 et qu’il n’y avait aucune tendance récente, qu’elle soit positive ou négative. La méta-analyse des suivis du recrutement en civelles (chapitre 1, page 15) a aussi permis de mettre en évidence des périodes cruciales pour suivre le recrutement en Camargue, à savoir la période Janvier-Avril même si le profil du pic de migration en civelles dans le delta varie entre les années. Enfin, les différents sites suivis peuvent présenter une saisonnalité particulière dépendamment de leur distance à la mer ou de leur spécificité (e.g., station de pompage), rendant nécessaire des suivis localisés et spécifiques répartis dans le delta. Deux sites ont fait l’objet d’une attention particulière dans ce travail de part leur spécificité et leur importance dans le Delta de Camargue. Premièrement, le recrute- ment au Grau de la Fourcade a été particulièrement étudié pour mettre en évidence les variations temporelles de celui-ci (chapitre 3, page 71), mais aussi pour relier les variations du recrutement et ses caractéristiques (i.e., stades pigmentaires) à des variables environnementales : température de l’eau, niveau d’eau de part et d’autre de l’ouvrage, débit d’eau, et nombre de martelières ouvertes. Ce dernier facteur “environnemental" était particulièrement important car il résulte directement des politiques de gestions appliquées à la Fourcade. Il a ainsi été observé un fort recrutement pendant les mois de Février-Mars, et une plus forte proportion de jeunes stades lors des captures pendant les mois de Janvier, Février, et Octobre, indiquant que la période Janvier-Mars était bien à sanctuariser et à privilégier pour permettre un bon recrutement via le Grau de la Fourcade. Nos modèles ont également permis de montrer que les captures en civelles augmentaient lorsque les débits d’eau sortante diminuaient ou que la hauteur d’eau entre la mer et les étangs était nulle ou élevée (i.e., le niveau des étangs étant alors plus bas que celui de la mer). Ainsi cibler une ouverture d’un grand nombre de martelières lorsque les niveaux de part et d’autre de l’ouvrage sont égaux ou que l’eau rentre dans les étangs apparaît être une mesure de gestion plus favorable pour le recrutement en civelles. Lorsque l’eau sort des étangs, il faudrait jouer sur la hauteur d’ouverture des martelières et le nombre de martelières ouvertes pour diminuer la vitesse de courant dans le chenal, et ainsi faciliter sa remontée par les civelles. Cependant, il pourrait être envisagé de tester différents scénarios de gestions des martelières dans des conditions environnementales similaires pour évaluer leur efficacité. Il apparait en tout cas opportun d’affiner la gestion des martelières en jouant sur le nombre de martelières ouvertes mais également leur degré d’ouverture, comme c’est le cas sur d’autres ouvrages en Europe. Le deuxième site pour lequel une attention particulière a été portée correspond aux Étangs et Marais des Salins de Camargue, qui sont localisés au Sud-Est du delta (EMSC, chapitre 4, page 107). Une politique de gestion visant à re-naturaliser ces anciens marais salants s’y applique depuis 2011 pour viser un fonctionnement le plus naturel possible. Plusieurs stations de suivis du recrutement en civelles ont permis d’étudier pendant cinq années la connectivité au sein de ce site, permettant de relier la mer aux étangs intérieurs du delta de Camargue. Il en résulte que les niveaux de captures au sein des EMSC étaient faibles mais qu’aucun point de blocage n’est apparu. Mais une analyse des stades pigmentaires tend à montrer que les individus capturés en amont des EMSC (Comtesse) proviendraient surtout d’une migration rapide, probablement par des brèches plus à l’Ouest. Des études complémentaires pour étudier le comportement migratoire des civelles au sein des EMSC semblent pertinentes à envisager, ainsi qu’un meilleur appel d’eau douce en amont du site et un suivi de la connexion entre l’amont du site et les étangs intérieurs. Ce dernier point met en lumière la nécessité de mieux comprendre le comportement migratoire des civelles au sein des hydro-systèmes. Ainsi, les données de recrutement à la Fourcade et à la Capelière, ont permis une première étude de la migration au sein de l’hydro-système entre la mer et l’étang intérieur du Vaccarès (chapitre 2, page 45). Ainsi, une vitesse de migration des individus a été estimée et elle coïncide avec une migration active sans aide des mouvements de masses d’eau comme ce peut être le cas dans des estuaires avec une migration accélérée par le courant de marée. Des études plus fines sur la migration interne, avec quels habitats sont utilisés, quels facteurs permettent de maximiser l’efficience de cette migration pourraient être envisagées. Globalement, cette première étude intégrant des données de recrutement obtenues à plusieurs sites et en adoptant une vision globale mais aussi locale, a permis d’identifier des axes de travaux pour adopter une stratégie mêlant point de vue global et point de vue local. Il s’agit d’une première pierre pour affiner les connaissances dans ces milieux très particuliers. Il en résulte également la nécessité de tenir compte de la globalité du cycle de vie de l’anguille Européenne se déroulant dans cet hydro-système particulier qu’est le delta de Camargue. |